Après avoir entendu la nouvelle d’une attaque terroriste sur le Charlie Hebdo à Paris aujourd’hui ainsi que les nombreux commentaires qui ont suivi, je ressens le besoin d’apporter ma note, en apparence discordante, au débat. Qu’on se rassure, je la crois plutôt « accordante » si on se donne la peine de me lire.
Tout le monde est d’accord pour condamner cette attaque. Mais j’ai l’impression qu’elle veut susciter la confrontation et qu’elle a des chances de réussir; tout comme le 11 septembre qui avait amené la déclaration : « Vous êtes avec nous ou contre nous! ».
Au risque de paraître super naïf, je dirais que la meilleure façon de gagner une guerre est de considérer nos ennemis comme des amis potentiels. Récemment quand il a été question des attaques contre le Parlement canadien et de soldats à la base militaire de Saint-Jean, on mentionnait dans les médias que la police suivait les dossiers de centaines de personnes susceptibles d’être partisanes d’un Islam radical. On se réservait la possibilité d’intervenir auprès de ces gens, jeunes pour la plupart, dans les cas où on les croirait susceptibles de poser des gestes violents. Fort bien. Mais il m’est venu cette idée. Si on connaît ces gens et leurs tendances, pourquoi, plutôt que d’attendre de les prendre en défaut pour justifier une arrestation, pourquoi ne pas simplement les contacter en leur disant ceci? : « Nous savons que vous avez des croyances qui s’opposent à notre système et nous voulons vous donner l’occasion d’exprimer votre point de vue librement; ainsi nous pourrons relever vos commentaires et critiques, en examiner le bien fondé et voir dans quelle mesure nous pourrons en tenir compte pour nous améliorer et évoluer pour le bien de tous ». Autrement dit, regarder nos démons en face pour faire un examen de conscience sincère.
On réagira spontanément : « Attention, nous sommes les bons, ce sont eux les méchant! On ne discute pas avec les méchants, on les élimine… d’ailleurs regardez ce qu’ils font partout… » Et nous qu’est-ce qu’on fait? On a rien à se reprocher? On ne détruit pas la planète? On n’exploite personne? On ne profite pas de la vulnérabilité des pays pauvres pour vivre dans la surabondance à bon compte? On n’a pas construit notre société en chassant les Premières-Nations de leurs terres et en faisant travailler des esclaves?
J’aimerais bien avoir une discussion franche et approfondie avec ces jeunes fanatiques. J’aimerais entendre de leur bouche comment ils voient notre société, ce qu’ils reprochent à notre monde, comment ils comprennent les choses et ce qu’ils souhaitent. Je serais étonné qu’ils aient tort sur toute la ligne et nous complètement raison. Contre quoi en ont-ils, le capitalisme, la surconsommation, la richesse ostentatoire, les inégalités sociales? Bien sûr, reconnaître qu’ils pourraient avoir raison dans une certaine mesure nous obligerait à des changements profonds pas faciles.
Je ne crois pas qu’ils puissent me faire adhérer à leur vision des relations hommes-femmes, en revanche, si nous reconnaissions leurs critiques sur d’autres plans, peut-être se montreraient-ils plus ouverts et tolérants à notre conception d’égalité entre les sexes. Peut-être aussi qu’en faisant face à des groupes qui les écoutent sincèrement, le taux de radicalisme parmi eux baisserait radicalement. Leurs héros qui s’illustrent par des actes abominables perdraient peut-être un peu de leur lustre et de leur influence néfaste.
À mon avis, si on ne fait pas un effort en ce sens, les attitudes vont se durcir dans les deux camps et on risque d’entrer dans l’engrenage d’une escalade irrationnelle, la spirale du radicalisme et de la violence. Je préférerais parier sur le dialogue. D’ailleurs je me demande si on ne pourrait pas inviter les grands sages de ce monde à jouer un rôle de conciliateurs. Qu’en diraient, par exemple, le Pape François et le Dalaï Lama?
Ne serait-il pas temps de lever un drapeau blanc et d’aller partager un repas avec le camp adverse? Si les croyances sont opposées, sachant qu’une croyance est simplement « ce qu’on pense être la vérité », il serait bon d’échanger de part et d’autre sur ce qui nous incite à croire telle ou telle chose. On aurait peut-être la surprise de constater qu’on n’est pas si éloignés qu’on le croit dans nos questionnements fondamentaux.
Guy Richer